LE PONT D’AUSTERLITZ
L'établissement d’un pont à l'endroit où a été construit le pont d'Austerlitz remonte à la fin du XVIIIe siècle.
Perronet fit un projet de pont en bois, qu'il proposa en 1773. «Ce pont devait avoir 112 toises d'une culée à l'autre et 24 pieds de largeur. Il devait être composé de deux culées en maçonnerie, de six palées en charpente et de sept travées de 90 pieds de largeur chacune. La dépense était évaluée à 339.995 livres, 2 sous, 11 deniers.»
En 1783, M. le comte de Buffon, alors directeur du jardin des plantes, proposa de substituer deux bacs aux simples batelets qui transportaient les piétons d'une rive à l'autre.
En 1787, une compagnie, à la tête de laquelle était Beaumarchais, obtint des lettres patentes pour la construction d'un pont entre le Jardin du Roi et l'Arsenal.
«En 1788 un sieur Guerne, maître charpentier de la Ville de Paris, présenta, sous le nom de Pont Désiré, un projet de pont en charpente, dont la dépense évaluée à 1.477.455 livres devait être couverte par une concession de péage.»
Enfin, en 1796, Palloy, architecte et entrepreneur, présenta un plan général d'un monument à ériger «à la gloire de la Liberté sur les terrains de la Bastille, Arsenal, Isle louviers et dépendance », plan d'après lequel un pont devait être construit à l'endroit du pont d'Austerlitz actuel, mais auquel il proposait de donner le nom de pont de la Liberté. (Plan proposé à la nation, présenté à l'Assemblée Législative et au pouvoir exécutif, le 11 mars, l'an 4° de la liberté.)
Le premier pont d'Austerlitz fut commence en 1802, sur les dessins de M. Becquey-Beaupré, aux frais d'une compagnie, par l’ingénieur en chef des Ponts et chaussées Lamandé.
Dans leur description de Paris et de ses édifices, MM Legrand et Landon donnent les renseignements suivants sur le mode de construction de ce pont :
«Il n'est pas le premier pont à plusieurs arches de fer établies sur des piles en pierre, le pont des Arts est antérieur de quelques années; mais son importance le place au premier rang même parmi ceux qu'on voit en Angleterre, où ce système de construction a pris naissance. Il exigea de la part du Conseil général des Ponts et Chaussées 1a discussion la plus approfondie sur les moyens à employer pour prévenir les effets du vibrement occasionné par le roulage de voitures et principalement sur les précautions à prendre pour obvier aux inconvénients qui pouvaient résulter, dans un pont à plusieurs arches, de la dilatation ou de la condensation des fers, suivant les différentes températures. Il fut convenu que ce nouveau pont aurait cinq arches égales de cent pieds d'ouverture et de dix pieds de flèche, et que les piles de ces arches, au lieu de monter jusque dessous le plancher, s'arrêteraient à la hauteur des naissances, pour recevoir des pièces triangulaires en fer fondu, auxquelles on donna le nom de coussinet. C’est avec ces coussinets, implantés dans une coulisse de fonte encastrée elle-même dans le chaperon de la pile, que se rattachent les voussoirs en fer coulé qui composent les fermes des arches»
Nous ajouterons que les arceaux en fer furent fondus, ainsi que ceux du pont des Arts, dans les importantes usines de Conches (Eure).
Deux larges trottoirs, garnis d'une balustrade en fer grillagé, servaient au passage des piétons. « La chaussée destinée aux voitures, pavée autrefois de grès pareil à ceux des rues, l'est aujourd'hui (1840) de petits fragments de pierre réunis en masses cubiques avec du bitume, d'après le système de M. Dez Maurel.»
La longueur du pont d'Austerlitz était de 400 pieds et sa largeur de 37.
Le pont d'Austerlitz, ainsi baptisé en souvenir de la victoire remportée le 2 décembre 1805 par Napoléon sur les armées d'Autriche et de Russie, fut ouvert à la circulation le 5 mars 1807.
Les piétons payaient un sou, les cabriolets trois, les carrosses et les chariots cinq. Ce droit de péage ne fut supprimé qu'en 1848, époque à laquelle la ville du Paris le racheta à la Compagnie concessionnaire.
Comme le pont des Arts et celui de la Cité, le pont d'Austerlitz fut considéré comme une œuvre remarquable. Les revues et les Journaux de l'époque ne tarissent pas d'éloges et d'admiration pour «la beauté de ses proportions, la noble simplicité de son architecture, et surtout pour «la magnificence du site dans lequel il est jeté »
«A l'est, la Seine fait majestueusement son entrée dans Paris, une double ligne de quais, s'abaissant en ports, se développe le long de son canal, dont une population de travailleurs divers anime incessamment les bords. Sur la rive droite, aussi loin que l'œil peut découvrir, c'est Bercy, avec son pont de fil de fer, les murs de son beau parc, son joli pavillon qui se mire aux eaux du fleuve, ses vastes magasins où s'entreposent encore la plus grande partie des vins que mous apporte la haute Seine, et les antiques marronniers d'un restaurant célèbre au dix-huitième siècle par ses fritures toujours croquantes et ses matelotes toujours fraîches.
Sur la rive gauche, la chaussée d'Ivry, rivale des voies romaines, suit la marche de la rivière où viennent se refléter les sombres bâtiments de la verrerie aux yeux de feu. Plus près, du milieu de l'onde, les humides habitants de la patache, bureau de la douane aquatique, surveillent les débarquements qui s'opèrent autour d'eux; partout règnent le travail et l'activité. Ici, les bottes de foins s’entassent dans de longues charrettes ; les minces voliges se superposent en piles quadrangulaires, les déchireurs frappent à coups redoublés sur les squelettes des bateaux échoués: c'est le port de la Rapée.
Là les bûches se scient à la mécanique; les grès de Fontainebleau s'amoncellent; et, plongés dans l'eau jusqu'à la ceinture, des débardeurs moins coquets que ceux de la Renaissance dépècent ces trains de bois qui semblent des îles flottantes: c'est le quai d'Austerlitz. Au midi, l'hôtel des Haricots, prison toute spéciales, où l'on entend plus de quolibets que de gémissements; la tête du chemin de fer d'Orléans; la Salpêtrière, ville immense de douleurs; le boulevard de l'Hôpital, jadis presque aussi connu que le boulevard du Temple par ses traiteurs et ses jardins publics, terre classique des Vestales et des Feux éternels; puis le Jardin des Plantes avec ses lions rugissant, son labyrinthe, son grand cèdre et ses serres étincelantes.
Au Nord, les vieux fossés de la Bastille transformés en canal, les toits rouges du grenier d'abondance, les noirs et sévères bâtiments de l'Arsenal et la colonne consacrée aux vainqueurs des trois journées. Mais c'est surtout en se tournant à l'ouest, vers le centre de Paris, que l'observateur jouit d'un coup d'œil vraiment pittoresque. Partagé en deux bras, d'abord par l'île Louviers, où des chantiers de bois à brûler ont remplacé des arbres au vert feuillage, puis par la pointe occidentale de la Cité, le fleuve baigne tour à tour le pied de l'Arsenal et celui de l'entrepôt des vins, la seule chose, dit-on, que les Anglais envient aux Parisiens. Tout autour s'échelonnent en amphithéâtre les maisons de la ville que couronnent circulairement des myriades d'édifices dont les dômes jaunes ou bleus resplendissent au soleil; c'est Saint-Paul, la belle église bâtie par les Jésuites, Saint-Servais au noble portail, l'Hôtel des Invalides, Saint-Sulpice, le palais du Luxembourg, la tour du collège Henni IV, le Val-de-Grâce et le Panthéon, qui les dépasse de toute la tête.
Enfin, au delà de cette passerelle imperceptible pour laquelle notre jeune armée a conquis le nom de Constantine, comme à travers ces blancs réseaux de soie que la Vierge nous envoie au mois d'août, la vieille basilique de Notre-Dame, semblable à un vaisseau amarré, dessine au milieu du fleuve les contours de ses flancs noirâtres et les ornements de sa poupe sculptée.»
Sous la Restauration, on donna officiellement au pont d'Austerlitz le nom de pont du Jardin du Roi.
En 1836, il existait à Paris, une compagnie de mariniers qui tenait a bail, de l'autorité municipale, le privilège de passer, sous les ponts de la ville, les bateaux qui descendaient ou remontaient la Seine. Cette compagnie avait pour titre « Les chefs de ponts de Paris » Nous l'avons connue autrefois sous le nom de la corporation de la hanse parisienne. Les chefs de ponts avaient été supprimés pendant la Révolution. Le décret impérial du 28 Janvier 1811, qui les réorganisa, contenait comme principales dispositions:
«Que le service de la navigation sous les ponts de Paris serait fait par deux chefs de pont. Qu'il était défendu à tous autres de passer les bateaux sous les ponts.
Que les bateaux seraient pris à 1a pointe de l'île Louviers, ou à la gare de la Femme-sans-tête, au choix des propriétaires qui en feraient mention dans leur déclaration. »
Le pont d'Austerlitz, livré à la circulation depuis 1807, ne se trouvait pas compris dans le service des chefs de ponts. Mais un arrête ministériel intervint le 25 novembre 1811 et recula jusqu'à la Rapée le point où les bateaux devaient être pris tout en maintenant certaines réserves ou exemptions de droits qui furent respectées jusqu'à l'établissement du canal Saint-Martin (loi du 25 août 1821)
«A cette époque toute la partie de la rive droite, située entre le pont d'Austerlitz et la pointe de l'île louviers, c'est-à-dire le point où le canal Saint-Martin doit venir déboucher dans la Seine, était affranchie de tout péage. Les bateaux qui, passant sous le pont d'Austerlitz, se dirigeraient à l'avenir vers le canal devaient donc être conduits gratuitement par les chefs de pont, aux termes du décret impérial, combiné avec 1'arrêté ministériel. »
Vers l'année 1827, une nouvelle compagnie de chefs de ponts prétendit qu'une ordonnance rendue le 16 janvier 1822 avait changé la législation de 1811, et soumis à son privilège les bateaux destinés au canal.
Ce fut l'origine de longs débats de procédure entre cette compagnie et les voitures par eau qui fréquentaient le canal Saint-Martin. La cause, qui divisa le Conseil de préfecture et le tribunal de la Seine, se trouva, par un renvoi de cassation, soumise, pour la deuxième fois, au tribunal de Versailles.
La suppression des droits de péage en 1848, la proximité des gares d'Orléans et de Lyon, les mouvements journaliers des voitures transportant les vins du quai de la Rapée à l'entrepôt des liquides, furent les causes d'un grand développement de circulation sur le pont d'Austerlitz, développement qui fit ressortir l'impérieuse nécessité d'élargir ce pont.
D'autre part on avait remarqué, dès les premières années qui suivirent la construction du pont d'Austerlitz, des cassures dans la fonte des arches. On les répara tant bien que mal; mais, par suite d'une circulation plus active et plus lourde, ces cassures devinrent de plus en plus nombreuses et plus importantes. On n'en comptait pas moins de 3.000 en 1854.
Pour tous ces motifs, le remaniement du pont d'Austerlitz fut décide. Le projet comportait le remplacement des arches en fonte par des voûtes en maçonnerie de meulières et de ciment de Passy, ayant seulement les têtes en pierre de taille. Les piles seules devaient être conservées et, au moyen d'une augmentation d'épaisseur à laquelle les fondations se prêtaient, on devait, tout en élargissant le tablier de 5m.25 (18 au lieu de 12m 75) conserver, de chaque côté, des trottoirs de 3 m. 50 garnis de parapets en fonte de fer, d'un dessin assez élégant.
M. Michel fut chargé de la direction des travaux qui commencèrent dès le 20 mai. Le 7 aout, les arches en fonte étaient démolies et, le 8 novembre suivant, le nouveau pont était ouvert à la circulation. La dépense n'atteignit pas un million (951.204 fr. 08)
Une inscription, aux quatre coins du pont, rappelle la date de ces travaux (1854-1855), ainsi que ceux qui furent entrepris en 1884-1885 en vue d'un nouvel élargissement du pont d'Austerlitz, sur lequel la circulation devient de jour en jour plus intense. Mais ces derniers travaux ont fait disparaître le parapet en fonte de fer, qui a été remplacé par parapet en pierre.
Ce viaduc ne sert qu’au métropolitain. Il a été construit de 1904 à 1905. Jeté en amont, à 200 mètres du pont d’Austerlitz, il ne comporte qu’une seule travée, de 140 mètres d’ouverture (le pont Alexandre III n’a que 107m50 de portée). Il fait suite au viaduc qui traverse le hall de la gare d’Orléans, à hauteur du premier étage.