1621
Le pont au Change fut incendié en 1621, en même temps que le pont Marchand qui était tout proche. " Le feu s'estant pris entre minuit et une heure dans une soupente pleine de fagots du dit pont aux marchands, en un logis d'un escrivain nommé Goulard, en moins de deux heures embrasa généralement tout ce beau pont, qui consitoit en plus de cinquante corps de logis, avec perte d'une infinité de marchands, n' ayant loisir que de fuir et de sauver leurs familles tout nuds, la plupart abandonnant aux flammes ce qu'ils ne purent emporter.
"Cet incendie ne s'arresta pas là, la flamme gagna encore quelques logis du pont aux changeurs, auxquels bien prit pour quelques-uns de déloger de bonne heure, laissans leurs meubles et beaucoup de richesses enterrées avec les ruines de ce pont dans la rivière; car, en moins de deux heures, de mesme que celuy des Marchands, tout ce beau pont aux Changeurs, qui avoit esté si soigneusement racoustré, fut universellement perdu; car en détachant les logis les uns d'avec les autres, il renversa tout dans la rivière. La perte du bien des marchands et de leurs meubles fust estimée à plus de quatre cens mille livres." (la prévôté de Paris, par Davity, p. 105 et 106)
C'est à la suite de cet incendie que les orfèvres du pont au Change établirent leurs forges dans la rue de la joaillerie.
Le pont fut remplace par une passerelle, qui figure sur le plan de Melchior Tavernier (1625)
Dix huit ans se passèrent avant qu'on construisit en pierre le pont au Change. Enfin, après de longues difficultés, le roi Louis XIII, par édit de mai 1639, en concéda l'entreprise, sur leur demande (I), aux propriétaires des forges de l'ancien pont aux Changeurs
"Un très curieux projet de reconstruction de Marcel le Roy, en 1622, eût donné au pont au Change une grande allure. La ligne des maisons eût été coupée d'arche en arche par des tours rondes. Le projet ne fut pas admis ; on lui en préféra un autre moins grandiose " (Robida, le Cœur de Paris, p. 286.)
(I) L’auteur des nouveaux essais historiques sur Paris rappelle qu’en 1781 on renouvela l’inscription de 1639. Il y eut même procès avec la Ville à ce sujet, que cette dernière perdit (arrêt de 1758). L’inscription de 1781 était la suivante : « Ce monument a été rétabli par les propriétaires des maisons du pont au Change, 1781. »
1639
Commencé le 19 septembre 1639, sur les dessins du fameux architecte Androuet Ducerceau, le nouveau pont ne fut livré à la circulation que le 20 octobre 1647 ; mais il servait déjà en 1645, puisque cette année-là on démolit la passerelle.
Dans cette nouvelle construction du pont au Change, on rencontra, en établissant un batardeau, une partie de pile bâtie d'une manière toute différente de celle alors en usage, ce qui fut très remarqué. Sauval rapporte cette circonstance et donne la description de cette pile conformément à un devis qui lui fut communiqué en 1641 «par un des entrepreneurs qui l'avait examiné soigneusement et qui croyait que les autres piles de l'ancien pont étaient de la même fabrique»
On découvrit également, dit encore Sauval, une petite idole de terre cuite, qu'on ne put reconnaitre, et "deux Dieux pénates de grès, couverts d'émail bleu turquin, hauts de deux pouces environ "
Il était composé de sept arches, dont six en rivière et une sous le quai de Gèvres, sous lequel on avait ménagé un canal souterrain, qui fut supprimé en 1860. L'ouverture des arches, qui avaient sensiblement la forme de pleins cintres, variait entre 10 m. 64 et 15 m. 62. La largeur du pont entre les Têtes était de 31 m 60.
Plusieurs estampes donnent une idée de la physionomie de ce pont. "Il supportait des maisons de cinq étages, étroites, disposées alternativement en retrait et en saillie. Il était, selon Sauval, habité par toutes sortes de marchands "
"On y trouve tant de richesses chez les orfèvres et tant d'esclat de pierreries, qu'il est impossible que les plus curieux de telles choses n'y contentent leur vue. "Davity, Prévôté de Paris)
"D'après une estampe d'Aveline, le pont, à l'intérieur, avait l'aspect d'une rue bordée de maison uniformes. Les rez-de-chaussée se composaient d'arcades occupées par des boutiques, et la partie cintrée servait d'entresol. Entre chaque boutique, munie d'un auvent, saillait une potence de fer assez élégante, soutenant un réverbère.
"L'axe du pont ne correspondait ni à la rue de la joaillerie, ni à celle de Saint- Leufroi; mais ces deux rues se prolongeaient de biais jusqu'au pont, de manière à former un îlot triangulaire de maisons. Le point où ces deux rues aboutissaient se nommait la pointe du pont au Change. (Paris à travers les âges, le Chatelet, p.36)
"Sur une étroite façade s'élevait la statue de Louis XIV; à l'âge de dix ans ou environ, couronné de lauriers par la main d'une Victoire. Cette figure était élevée sur un piédestal, à chaque côté duquel le roi Louis XIII et la reine Anne d'Autriche sont représentés en bronze de grandeur naturelle, sur un fond de marbre noir. Ces statues sont fort bien dessinées et fort ressemblantes. Elles étaient posées sous un arc orné de deux pilastres ioniques et d'un fronton dans lequel sont les armes de France et d'Autriche accolées. Il y avait, au bas, des captifs représentés en demi relief."
Et G Brice ajoute: " Toutes ces pièces sont de Thomas Guilin.
"On lit cette inscription gravée sur le piédestal, qui porte la figure de Louis XIV avant sa majorité.
"Ce pont a été commencé le 19 de septembre 1639, du glorieux règne de Louis le Juste, et achevé le 20 d'octobre 1647, régnant Louis XIV, sous l'heureuse régence de la reine Anne d'Autriche, sa mère."
Les statues de Louis XIII, d'Anne d'Autriche, de Louis XIV et le bas-relief furent déposés, à l'époque de la démolition du monument (1786), au Musée des Monuments Français. Ces objets se trouvent actuellement dans la salle Désaugiers, au Louvre.
1642-1646
M Bonnardot rappelle, dans Paris à travers les âges (le châtelet et ses environs), que, vers 1642, année où l'on travaillait encore au nouveau pont au Change, il n'y avait ni quai, ni rue parallèle à la Seine, entre ce pont et celui Notre-Dame. Pour aller de l'un à l'autre, dit-il, les voitures devaient remonter Jusqu'a la rue Saint-Jacques la Boucherie, et, arrivées à la rue Planche-Mibray (qui faisait suite à celle Saint-Martin), redescendre cette rue jusqu'aux pont Notre-Dame. C'est le chemin que suivaient les cortèges royaux pour se rendre du Châtelet à la Cathédrale.
«Il s'agissait de donner au nouveau pont un débouché digne de son importance. Aussi, vers 1645 ou même avant, on abattit les masures de tanneurs et de teinturiers qui encombraient la berge: puis aux dépens d'un groupe de maisons situées entre la rue de la tuerie et la berge, on ouvrit une rue dite de Gesvres. En même temps, entre cette nouvelle rue et la Seine, on établit un quai couvert, également baptisé par le marquis de Gesvres, prévôt des Marchands, qui fit exécuter ces travaux. Ce quai, qui consistait en une galerie ayant vue sur la Seine, fit bientôt concurrence aux galeries du Palais. . . . . . . . . . . . . . . . . »
«Il a la vogue, il attire la foule Dès 1646 on lui ouvre une communication directe avec les grandes voies du pont Notre-Dame et du pont au Change, en démolissant ou perçant les maisons qui lui font face. Il débouche alors sur le pont au Change par une arcade sur le pont Notre-Dame par une tranchée qui ne coûte pas moins de 40-000 francs aux actionnaires. Dès l'origine, les petits commerces de luxe en prennent possession : ce sont les bijoutiers, les lingères, les bimbelotiers, les marchands de mode, les libraires, les marchands de tableaux, les fleuristes (Paris a travers les âges, La Cité.)
Ajoutons que la grande voûte qui portait le quai était un travail remarquable, fort admiré par les gens de l'art. «Ceux qui sont curieux, a écrit G. Brice, de ces sortes d'ouvrages, ne doivent pas négliger d'y descendre pour les voir et les examiner soigneusement, parce qu'ils y trouveront de quoi se satisfaire dans la science de la coupe des pierres, si nécessaire aux architectes, presque inconnue à présent à la plupart de ceux qui entreprennent des ouvrages de conséquence. »
1649
Dans son Journal des Guerres civiles, Dubuisson Aubenay raconte que le 15 mars 1649, à la sortie du Châtelet, « Le Président de Thoré fus saisi par les séditieux qui tâchèrent de le pousser en quelque chambrette dessus le pont au Change, pour, de là, le jeter à la rivière, et, de là, le menèrent sur le quai de la Mégisserie, afin de mieux exécuter leur dessein. Là un avocat du Châtelet le tira du parapet, prêt à être jeté et le mena chez Bunicourt, clinquaillier, où, l'ayant déguisé, le fit sortir et sauver. »
1651-1658
Le 7 mars 1651, le célèbre médecin Guy Patin écrivait «Je rencontrai hier M. des François qui m'étourdit de la peur qu'il avait eue des grandes eaux et qu'étant logé sur le pont au Change le moindre accroissement de la Seine le conduisait presque aux portes de la mort. (Lettres choisies de Guy Patin )
La crue extraordinaire de la Seine, lisons-nous, en effet, dans la Gazette (N°12) , procédant des grandes pluyes et neiges fondues, l'ayant fait déborder, a causé quelques dégâts en cette ville, particulièrement au pont au Change, dont l'une des arches ayant été entr'ouverte par la rapidité des eaux, quatre ou cinq maisons en ont été ruinées et la crainte d'un plus grand mal a fait abandonner toutes les autres du même pont.
Ces débordements de la Seine se renouvelèrent en 1658 et emportèrent une partie du pont au Change et du pont Marie «On peut voir à la Grève et dans le cloître des célestins, dit Piganiol des inscriptions qui marquent la hauteur des inondations de 1658.»
De son côte, la muse historique de Loret nous trace, en vers badins, le tableau suivant des inondations survenues à cette date :
Madame la rivière,
Qui s'est montrée un peu trop fière
Et qui, par ses débordemens,
A détruit ponts et bâtimens
Et fait plus d'étranges ravages
Dans un grand nombre de ménages
Que n'auraient fait trente démons
. . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Je m'abstiens en cette conture
De faire une triste peinture
Des accidens qu'elle a causez ;
Car, o lecteurs qui me lisez,
En tout ce qu'on pourrait dire
Je ne voy pas de mot pour rire.
1672
Chez sous l'une des arches du pont au Change qu'avait lieu, au moins une fois l'an, un déjeuner peu banal, où se réunissaient Messieurs de la Ville, «en manteau et rabat plissé», chargés de procéder à la visite générale des ponts et des quais de Paris, conformément à l'ordonnance de décembre 1672.
Ils s'embarquaient à la Grève «sur le port, dans un bateau préparé à cet effet, avec le Maître général des œuvres de la Ville, et des chefs de ponts. Un contrôleur des bâtiments du roi y est appelé pour ce qui concerne les ponts Neuf et Royal. Le bateau est gardé par quatre gardes et deux officiers. On commence par visiter le pont Marie et les quais. Un plongeur descend au fond de l'eau, examine toutes les piles, les unes après les autres, et en dresse un état pour le procès verbal. Puis, on va par la pointe de l'île en observant les murs des quais, et l'on gagne successivement le pont de la Tournelle, le pont Rouge, celui de Notre-Dame et le pont au Change, observant toujours les murs des quais. On dîne dans le bateau, sous une des arches du pont au Change. Après dîner, on continue par le Pont-Neuf, le pont Royal, et on vient jusqu'à la descente qui donne au bout du quai des tuileries, près le pont tournant, pour visiter les murs des quais. Ensuite on monte dans des canosps qui trouvent là et l'on se rend au pont au Double dans de petits bateaux. On continue par le pont Saint-Charles, le petit pont, le pont Saint Michel et le Pont-Neuf. Du tout il est dressé un procès verbal de l'état et des réparations qui s'y trouvent à faire.»
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Nous avons dit un mot de l'animation commerciale et mondaine qui existait sur le pont au Change, à la fin du XVIe siècle. Cette animation n'était pas moins grande à la fin du XVIIe siècle, époque à laquelle le luxe et la cherté des habits étaient poussés si loin que, par décri somptuaire du 27 novembre 1660, Louis XIV crut nécessaire de défendre les broderies, cannetilles, paillettes, guipures, etc.
Oh !que Je sais bon gré au roi de ses décris.
Et que, pour le repos de ces mêmes maris,
Je voudrais bien qu' on fit de la coquetterie
Comme de la guipure et de la broderie.
(Sganarelle)
On n'en continua pas moins à vendre force guipures et broderies: les points et les dentelles, rues de Béthisy, de Lebourdonnais et de Saint-Denis ; les dentelles, guipures et galands de soie sur le Petit-pont et rue aux Fèvres ; - les rubans sur le pont au Change.
Ed Fournier, dans Paris démoli (page 56), rappelle que Charles Chevillet, qui, sous le nom de Champmeslé, fut comédien et auteur, et mari de la fameuse comédienne aimée de Racine, avait fait ce commerce avant d'aborder la scène.
Si nous ouvrons le Livre commode des adresses, nous y lisons :
«Que les parfumeurs, qui font grand commerce de poudre et de savonnettes, sont au bout du pont Saint Michel, à l'entrée de la rue de la Harpe, à l'entrée de la rue d'Hurepoix, au bout du pont au Change, à l'entrée de la rue de Gesvre et rue Bourlabé, près la Trinité ;
«Qu'entre les marchands chapeliers, qui tiennent boutique et qui font un grand détail, sont : le Puge et Féry au pont Notre-Dame, les frères Gasteliers, au pont au Change, après, au pont Saint Michel, au Louis d'argent. »
Le même ouvrage nous cite encore comme faisant le commerce de curiosités et de bijouterie sur le pont au Change, Melle de Tournon, et, comme fameux fourbisseur, M. Cadeau.
De nos jours, nous nous faisons difficilement une idée de ce que devait être le va-et-vient journalier occasionné par la présence de toutes ces boutiques, va-et-vient qu'augmentaient encore le marché d'arbres, de fleurs et de jardinages, qui se tenait sur le pont au Change, le mercredi et le samedi; le commerce des oiseaux et des pigeons, qui avait lieu, en cet endroit, les dimanches matin, le marché de toutes sortes de batteries de cuisine et d'ustensiles, vieux et neufs, fers et ferrailles, enfin la présence de virtuoses qui attiraient l'attention des amateurs, tel, par exemple, «cet aveugle qui, à l'aide de ficelles attachées à ses pieds et correspondant à autant de sonnettes produisait un carillon pareil à la Samaritaine » (Fournel, les Rues du Vieux Paris, p 430)