1528
« Je suis né à Paris, sur la limite de la paroisse de Saint Séverin, . . . . . . . . . . . ., sur le Petit-Pont, l’an de salut 1528, le 17 septembre, de parent honorables mais peu fortunés ; une muraille d’un pied d’épaisseur a été le seul obstacle qui m’empêcha d’être paroissien de Saint-Germain, surnommé le Vieux, à cause de son grand âge ? »
Tel est l’acte de naissance du bénédictin Jacques du Breul, écrit par lui-même. Nous l’extrayons d’une étude de M. l’abbé Valentin Dufour, étude insérée dans le Bulletin xi de la société de l’Histoire de Paris et qui est accompagné des commentaires suivant :
« Le territoire de Saint Germain le Vieux commençait, du côté du Petit Châtelet, aux maisons qui font face à la porte de l’Hôtel-Dieu, sur le Petit-Pont . . . . . . . . (M. Leroux de Lincy traduit «ad potem » par au milieu du pont, ce qui es en désaccord avec le texte de l’auteur, qui dit « qu’une muraille d’un pied d’épaisseur a été le seul obstacle qui l’empêcha d’être paroissien de Saint-Germain, surnommé le Vieux)
«Le plan de restitution de Berty nous donne sept maisons du côté gauche du pont, à partir du Petit-Châtelet. La sixième porte le nom de la maison du Croissant, la suivante est sans désignation. Elle a la même profondeur que cette dernière. Elle est contiguë avec la maison de l’image Saint-Martin. Le quai du Marché-Neuf suit en cet endroit une ligne droite, qui passe entre l’image Saint-Martin et la deuxième maison du Petit-Pont et vient aboutir à l’angle du portail de l’Hôtel-Dieu, place en face la première limite de la paroisse de Saint-Germain le Vieux et en dehors de la seconde limite de Saint-Séverin ; c’est donc là qu’il faut chercher le logis ou est né du Breul, qui regrettait qu’une épaisseur d’un pied de muraille l’ait empêché de naître sur la paroisse Saint-Germain, modeste séjour de personnes honorables, mais peu fortunées, tels que les parents de du Breul. Cette maison de construction légère, était postérieure à l’écroulement du Petit-Pont provoqué par la crue des eaux en 1393 et ne survécut pas à l’incendie du 27 avril 1718 ; mis il est vrai de reconnaître qu’elle était soutenue par ses deux voisines d’un appareil plus solide, la maison du Croissant bâtie sur des arches indépendantes du pont et qui s’appuyaient sur la rive droite du fleuve du coté de l’image Saint-Martin ;elle avait pour base la troisième arche du Petit-Pont qui en comprenait alors quatre : deux assises dans le fleuve, deux sur la rive droite en prévision des débordements annuels. Ces deux dernières ont été supprimées postérieurement ; mais on en a trouvé récemment les assises dans les travaux exécutés de nos jours. Ce qui n’empêche pas pour une maison ordinaire d’avoir fourni une belle carrière de trois cent quinze ans et d’avoir péri de mort violente. Du Breul nous cite une inscription du règne de Henri II, qui constate que sur la partie du pont comprenant huit maisons, qui allait du châtelet à l’hôtel-Dieu, il n’y en avait que sept sur l’autre côté du pont qui avaient été rebâties avec symétrie en 1552 ; mais il ajoute qu’il n’en était pas de même pour « les maisons du côté du Marché neuf, les particuliers qui sont dites maisons les font rebâtir quand il en vient faute, qui haut, qui bas, à leur discrétion, et selon que leurs moyens le peuvent porter. C’est pourquoi elles sont beaucoup dissemblables à celles du côté de l’Hôtel-Dieu, qui sont toutes d’une même hauteur et largeur. »
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La réédification des maisons du Petit-Pont en 1552 est confirmée par Cholet, qui ajoute : « il y a un escript gravé au milieu d’icelles, qui marque le temps et les noms des Prévosts des marchands et Eschevins, qui estoyent lors en charge. »
Quant aux travaux à la suite desquels on a retrouvés les assises des deux arches du Petit-Pont, ils remontent à 1877. A cette époque, l’établissement d’un égout et la démolition de l’Hôtel-Dieu ont permis de constater que ces deux arches n’avaient jamais été complètement démolies.
1590
Le 3 juin 1590, au commencement du règne de Henri IV, l’infanterie ecclésiastique passa en revue, au nombre de treize cents, devant le Légat. Minimes, cordeliers, jacobins, carmes, feuillans, tous de la Ligue étaient retroussés, bottés, les capuchons bas, le casque en tête, la cuirasse sur le dos, l’épée au côté, le mousquet sur l’épaule marchant quatre à quatre, le Révérend Evêque de Senlis à leur tête avec un esponton : les curés de Saint-Jacques-de-la-Boucherie et de Saint-Come faisaient les fonctions de sergents-majors.
Quelques-uns de ces miliciens, sans penser que leurs fusils étaient chargés à balle, voulant saluer Légat, tuèrent à côté de lui un de ses aumôniers. Son Eminence tournant la tête, et trouvant qu’il faisait trop chaud à cette revue, se dépêcha de donner sa bénédiction, et s’en alla bien vite, pendant que le peuple criait tout haut que cet aumônier était fortuné d’avoir tué dans une si sainte action.
1606
Ce fut devant une boutique du Petit-Pont que Bassom Pierre, d’après ses mémoires, rencontra une lingère d’une beauté remarquable, qui s’étant éprise de lui, à le voir passer, lui offrit elle-même ses faveurs, et que, trois jours après un premier rendez-vous, il retrouvait morte de la peste, sur le point d’être portée au cimetière avec d’autres pestiférés. (Le petit châtelet)
1691
On lit, à cette date, dans le livre commode des adresses :
«Les dentelles, guipures et galons de soye se vendent principalement sur le Petit-Pont, et rue aux Fèvre, où l’on vend aussi des galons de livrées. »
La boutique des Trois Croissants, ajoute Ed. Fournier, était la principale de celles des galons d’or et d’argent « vendus à Petit-Pont ». Auprès étaient de gros marchands d’étoffes, à la Croix d’or, au Bras d’or, à la Tête d’or, au Saint-Esprit, à l’Annonciation, à l’Enfant-Jésus, aux Deux-Anges. Toutes ces maisons furent brûlées en 1718.
Il est question de ces guipures dans l’école des Maris
O que je scais au Roy bon grè de ces décris !
Et que pour le repos de ces mesmes maris
Je voudrois bien qu’on fit de la coquetterie
Cet de la broderie comme de la guipure
Les bonnes épingles(1) et les fines aiguilles se vendaient autrefois rue de la Huchette, à l’Y. Mais un marchand du Petit-Pont, nous dit encore le Livre commode des adresses, dont la boutique fut brulée pendant l’incendie de 1718 avait pris également cette enseigne.
1-(La communauté des épingliers était des plus anciennes. Ils avaient pour patronne la Nativité de la Saint Vierge à l’église des Carmes Billettes.
Au commencement du second Empire, on a trouvé dans la Seine, au pont Saint-Michel, deux plombs intéressant la communauté des épingliers. « L’un de ces plombs qui date du XIVe siècle, représente la vierge et l’enfant Jésus ayant tous deux la tête nimbée : mais l’enfant porte la nimbe divin. A droite et à gauche sont deux arbrisseaux. Au revers : dans le champ, figurent trois épingles posées en pal.
L »autre plomb date de la fin du XVIe siècle ou du commencement du XVIIe siècle. C’est une variété du plomb précédent. Sur une chaise gothique siège de sainte Vierge, couronnée et nimbée, soutenant l’enfant Jésus sur son bras droit. Autour du médaillon, entre filets, se lit la légende suivante : Ave Marié, gratia. Au revers : trois épingles dans un écusson ou cartouche, aux formes échancrées, bordure ornée. [Collection des plombs historiés trouvés dans la Seine recueillis par A. Forgeais. Paris 1862])
1718
L’histoire gardera longtemps le souvenir de l’accident qui arriva à ce pont le 27 avril 1718, à sept heures du soir. « Un jeune garçon venait de se noyer. Sa mère planta une chandelle allumée dans un pain, mit ce pain dans une sébille et la mit sur l’eau, ainsi que l’on lui avait indiqué de faire, l’ayant assuré que là où la chandelle s’arrêterait, elle trouverait son fils. Cette chandelle alla malheureusement s’arrêter à des bateaux de foin qui causèrent l’incendie. Détachez du port au foin, ils passèrent sous le Petit-Pont ne pouvant aller plus avant à cause des armatures que l’on y avait laissés pour soutenir les arcs mal construits. Lee feu prit ainsi aux maisons et elles furent consumées en très peu de temps, ce qui causa la ruine de plusieurs marchands. » (G. Brice)
Ces armatures, dont parle G. Brice, avaient été mises en 1627, à l’occasion d’un envoi de canons destinés au siège de la Rochelle. Ces canons, tirés de l’arsenal, devant passer sur le Petit-Pont dont la solidité était très douteuse, on fortifia les arches de centre-doubles, qui y restèrent. Puis, dans la suite, les habitants du pont y ajoutèrent des planches et firent des caves pour la commodité de leurs logements.
Ainsi alimenté par cette agglomération de bois, le feu prit, en quelques instants, des proportions considérables. Les rues voisines, l’Hôtel-Dieu lui-même coururent un grand danger. « Nous l’avons vu de nos yeux, nous avons été témoins que le feu qui paroissoit tout tourné contre cet hôpital et devoit le réduire en cendre, prit un autre cours et porta sa fureur d’un autre côté, comme si ces flammes dévorantes respectoient cette maison de charité. » (Mandement de S. Em. Mgr le cardinal de Noailles, archevêque de Paris, 6 mai 1718.)
Un arrest du Parlement du 5 septembre 1718 décida la reconstitution du Petit-Pont. Il y est dit :
« Il sera procédé, conformément à l’arrêt du 19 juillet dernier, au rétablissement du dit pont, lequel sera rélargi sur et à la faveur des avant et arrière-becs, scavoir, de neuf pieds huit pouces et demi du côté du Petit-Châtelet et de la rue de la Huchette sur la ligne droite tirée de l’encoignure de la rue de la Huchette, à celle de la rue du Petit-Pont et du Marché neuf ; et de dix pieds quatre pouces et demi du même côté, et à l’autre bout du dit pont, depuis le Petit-Châtelet jusqu’au portail de l’Hôtel Dieu, au moyen duquel élargissement sera lors de la dite construction pratiquée une banquette de chaque côté de la route du dit pont, de neuf pieds de large, et de neuf à dix pouces au dessus du pavé, y compris l’épaisseur des dites banquettes dont l’alignement sera pris sur les dites deux lignes droites ci-dessus marquées ; en sorte que le devant des dites banquettes sur le dit pont se trouve à l’alignement des dites deux lignes et à celui des maisons qui seront construites . . . . . . . .
« Il ne sera fait aucun rétablissement des maisons incendiées qui étoient bâties sur le Petit-Pont, tant des neuf appartenantes à la ville de Paris, du côté de l’Hôtel Dieu jusqu’au Petit-Châtelet, que des quatre de l’autre côté, aussi appartenantes à la dite ville à commencer au Petit-Châtelet jusqu’à celle appartenante à Boisnard et consors ; ensembles des deux autres, l’une appartenante au dit Boisnard et l’autre à Passart et consors, y compris ce qui étoit bâti de la dite dernière maison en saillie et sur pilliers étans dans le lit de la rivière, qui ne sera pareillement pas reconstruit, sauf à être pourvu à l’indemnité des dits deux propriétaires s’il y échet. Qu’il ne sera pareillement fait aucune reconstruction des échopes qui étaient bâties le long des murs de l’Hôtel dieu jusqu’à la maison faisant l’encoignure de la rue du Petit-Pont et de la rue Neuve-Nostre-Dame ; et à l’égard des autres maisons qui étaient hors du dit Petit-Pont, permet aux propriétaires de les rétablir……Ordonne que l’alignement des maisons étant en retour sur le quay du Marché-Neuf, sera pris sur une ligne droite depuis le mur du pavillon du Marché-Neuf, ou ancienne boucherie de la ville, jusqu’à l’encoignure du gros pavillon des enfants trouvés ; et de là, d’une autre ligne droite jusqu’à celle de l’areste de l’arrière-bec de la pile servant de culée au pont, et continuée aussi en ligne droite jusqu’à la rencontre de la dite première ligne tirée de l’encoignure de la rue de la Huchette jusqu’à l’encoignure des rues du Petit-Pont et du Marché-Neuf ; et, en conséquence, ordonne qu’il sera abandonné à Cailly, dont la maison se trouve la première après le dit Petit-Pont, du dit côté les portions de terrain qui seront à sa bienséance, à la charge néanmoins que le dit Cailly de construire à ses frais le mur du quay, qui servira de fondement à la dite maison, suivant les alignements ; et aussi à la charge d’y mettre ouvriers incessamment ; sinon permet au Prévôt des marchands et Echevins de vendre les dits emplacements au plus offrant et dernier enchérisseur, aux clauses, charges et conditions ci-dessus, en faisant par l’adjudicataire construite incessamment le dit mur du quay. » (Les inondations de la Seine, par Champion)
En réalité, la reconstruction qu’on fit du Petit-Pont n’y apporta aucune amélioration en vue d’offrir plus de débouché au passage de l’eau. On se contenta de l’élargir et à ne pas bâtir des maisons dessus.
Lors de la démolition de ce pont, en 1850, pour sa réédification complète, on constata par les marques des tâcherons gravées sur les pierres, que les arches avaient été refaites sur les anciennes piles du moyen âge. On trouva, d’autre part, une plaque de cuivre sur laquelle était gravée une inscription très bien conservée. Elle donna lieu de constater que « ce fut le 6 juillet 1719, que commença la reconstitution des trois arches et partie des piles, et qu’il fut élargi avec banquettes et parapets ». Cette plaque a été déposée au musée de Cluny.
Le Petit-Pont de 1719 n’a pas d’histoire, son existence s’écoule dans une parfaite tranquillité. Jusqu’au milieu du XIXe siècle, il n’est question, dans cette partie de Paris, que de mesures édilitaires ayant pour objet d’améliorer la salubrité publique, les abords des deux rives de la Seine, les moyens de communication entre la rive gauche et la rive droite du fleuve.